Nous avons tous été témoins ou entendu parler : de gros fermiers possédant de vastes étendues de terres agricoles ont dû tuer leur bétail de leurs propres mains à cause de la sécheresse ; de jeunes entrepreneurs qui ont tout perdu du jour au lendemain à la suite d'une soudaine crise économique ; des hommes et des femmes ordinaires qui ont acheté pour leur petite famille des maisons ou appartements à crédit, puis n'ont pu rembourser leurs dettes et se sont faits ensuite expulsés ; des étudiants pleins d'espoir qui ont également contracté des prêts ont fait faillite avant même de pouvoir les honorer; des parents qui ont perdu leur enfant unique alors qu'ils en étaient si heureux ; des gens qui cherchaient désespérément un partenaire aimant et quand ils l'ont eu, le divorce les a séparés pour de bon. Les mathématiques peuvent-elles résoudre de tels problèmes ? Le meilleur logiciel ou la meilleure IA peuvent-il résoudre de tels problèmes ? De telles personnes ont-elles eu de tels problèmes parce qu'elles étaient si nulles ? Ou ces choses-là ont-elles besoin d'un autre type de réflexion ?
Bien sûr, il est très facile de rejeter d’emblée l’idée de philosopher sur tout
cela sous prétexte qu’il ne s’agit là que de simple excès de misérabilisme ou
de catastrophisme et que la vie est de nature pleine de mauvaises surprises et
que chacun doit assumer la responsabilité de son échec, point barre. Mais cela
ne mérite-il pas vraiment un moment de réflexion tout de même ?
Les étudiants en journalisme apprennent que « lorsqu'un chien mord un homme, ce
n'est pas une nouvelle » ; Quand « un homme mord un chien », ça c'est une
nouvelle. Une femme a appelé un médecin en direct sur une émission de radio
pour lui demander pourquoi sa fille de trois ans tétait encore son biberon
(même s'il était vide !). CELA N'EST PAS UNE NOUVELLE, me direz-vous. Et c’est
vrai. Un autre auditeur a appelé pour conseiller à cette femme de mettre
quelque chose d'amer dans le biberon ou sur sa tétine pour le rendre dégoûtant
à l'enfant. Il a dit qu'il avait lui-même essayé cela sur sa propre fille quand
elle avait trois ans et cela a marché. ET CELA ENCORE NEST PAS UNE NOUVELLE.
Mais ensuite l'homme a concédé qu'il y a eu un problème beaucoup plus grave. «
Maintenant, ma fille a 27 ans », a-t-il expliqué. « Elle est professeure
d'université dans un pays étranger et pourtant elle suce toujours son pouce ! »
CECI EST BIEN UNE NOUVELLE, n'est-ce pas ? Mais est-ce assez étonnant pour
émerveiller tout le monde ?
Alors qu'est-ce qui provoque de l'admiration ou de l'émerveillement en nous ?
Un journal kenyan s'est exclamé : « C'est un mystère : les Africains ne peuvent
pas tirer de flèches olympiques ! » Pour l'auteur de cet article, « il est
surprenant que l'Afrique ne domine pas le tir à l'arc alors qu'aucun autre
continent n'utilise autant d'arcs et de flèches à des fins primaires. »
Dans son livre « Le Collier Unique », Ibn Abd Rabbih (860 - 940) raconte
l'histoire d'un tabi'i (disciple des compagnons du prophète Mahomet)
qui voyageait avec certains de ses étudiants lorsqu'ils rencontrèrent un homme
ivre chantant un beau couplet en arabe, quelque chose comme : Mon cœur est
devenu malade d'amour, Mais il n'y a aucun moyen d'atteindre mon amour. (Avec
la rime, ça sonne beaucoup plus beau que ça en Arabe.) Le tabi'i descendit
alors de son cheval et s'empressa d'écrire ces lignes. Étonnés, ses étudiants
lui demandèrent : « Vous écrivez des mots prononcés par un homme ivre ? »
Le tabi'i répondit : « N'avez-vous pas entendu le proverbe qui
dit 'Une perle pourrait très bien être trouvée au milieu des ordures.' ? Eh
bien, ceci est une perle dans une poubelle ! »
Quelqu'un a été présenté au calife abbasside Haroun al-Rachid comme étant un
homme de génie qui pouvait faire entrer cent aiguilles dans les yeux les unes
des autres de telle manière qu'aucune aiguille ne tombe. Le calife demanda à
l'homme de lui montrer comment il pouvait faire cela, et quand ce dernier l'eut
fait de la manière la plus brillante, le calife se tourna vers ses hommes et
dit : « Donnez à cet homme cent dinars et cent coups de fouet. » Stupéfait,
l'homme de génie demanda : « Majesté, je peux comprendre pourquoi vous me
donnez cent dinars, mais pas pourquoi vous me donnez cent coups de fouet ! » Le
calife répondit : « Je vous donne cent dinars pour votre génie, et cent coups
de fouet parce que vous avez gaspillé votre génie sur des futilités. »
Nous sommes tous intelligents, n'est-ce pas, mais utilisons-nous toujours notre
intelligence à bon escient ?
J'étais une fois seul, debout en face de notre salle de cours, lorsqu'un camarade de classe s'est approché de moi et m'a dit, tremblant de rire : « Sur le chemin de la Fac, un groupe de petits enfants m'a arrêté et m'a dit, 'Dis-nous, si tu sais : est-ce qu'une poule urine ?' Tu sais quoi, je n'y avais jamais pensé ! » Maintenant je vous pose la même question : est-ce qu'une poule urine ?
On a tendance à prendre tellement de choses pour acquises - de petites choses,
je veux dire. Combien de fois vous êtes-vous arrêté pour penser au tic-tac de
votre montre, à ce minuscule insecte que vous trouvez parfois en train de
parcourir la page lorsque vous lisez un livre, aux feuilles mortes de votre
jardin ou dans les bois, à l'esprit humain qui a fait toutes les inventions que
vous utilisez tous les jours ? Comme les gens dans l'Antiquité, qui
s'émerveillaient des Sept Merveilles et oubliaient les millions de petites
merveilles qui les entouraient, nous nous émerveillons toujours de grandes
choses et oublions de penser aux petites choses en nous-mêmes et dans notre
environnement.
Les gens se sont émerveillés devant le premier vol en ballon (1786) du premier
vol transatlantique en solo sans escale (1927), du premier vol à bord de
l'Airbus A380. Ils s'émerveillent encore devant la Grande Muraille de Chine,
les Pyramides de Guizeh, la Tour Eiffel et Lady Liberty. On s'émerveille encore
devant les performances époustouflantes des animaux de cirque et des clowns,
devant les robots qui auraient des sentiments, devant les exploits d'athlètes
qui battent des records, devant les talents extraordinaires de nos artistes
(que l'on prend parfois pour des dieux !). Presque chaque semaine, il y a une
nouvelle entrée dans le célèbre Guinness World Records.
Quand les gens pensent à quelque chose, ils oublient souvent autre chose -
quelque chose de plus important. Quand nous nous regardons dans le miroir,
pensons-nous au miroir lui-même ? Quand nous utilisons notre ordinateur,
pensons-nous à l'esprit qui l'a inventé en premier lieu ? Lorsque nous nous
interrogeons sur notre pouvoir (humain) d'imagination, pensons-nous d'où vient
l'esprit humain en premier lieu ? Combien d'entre nous s'étonnent que bien que
nous ayons le même père et la même mère, nous ne sommes pas identiques. Même les
soi-disant « jumeaux identiques » se distinguent par leurs empreintes digitales
et leurs iris.
Parfois, vous vous retrouvez soudainement dans une situation où vous vous
sentez comme un imbécile, lorsque les choses les plus évidentes deviennent
difficiles à comprendre, lorsque votre vie devient comme par hasard un fardeau,
dénué de sens. Devrait-on attendre jusqu’à ce moment-là pour se mettre à
méditer ?
Si l'exercice physique débarrasse notre corps de ses « poisons », n’en va-t-il
pas de même pour la méditation ? Ne pourrait-elle pas nous débarrasser des «
poisons » de nos âmes. La méditation sur de petites choses - ces choses
auxquelles la plupart des gens ne pensent même pas - ne pourrait-elle pas nous
procurer une lumière que la plupart des gens n'ont pas ?
Un Américain a disparu en Australie. Après environ trois mois, il a émergé de
l'autre bout du désert australien, vêtu d'une chemise ordinaire et d'un
pantalon, avec des sandales en cuir et une bouteille d'eau à la main. Lorsqu'on
lui a demandé pourquoi il avait bravé un désert si effrayant seul et avec si
peu d'équipement, l'homme a répondu tout simplement : « Je voulais juste
découvrir Dieu. » Personnellement, je ne pouvais pas en croire mes yeux et mes
oreilles en voyant ces images télévisées, après avoir lu des récits sur
l'époque où les chameliers afghans emmenaient les colons européens à travers
les déserts inexplorés du continent australien.
Maintenant, faut-il que j'aille jusqu'au désert australien juste pour méditer ?
Mais je peux regarder le soleil d'où je suis : n'est-ce pas le même soleil que
tout le monde voit partout ? N'est-ce pas la même lune que tout le monde
connaît ? N'est-ce pas le même ciel, les mêmes étoiles, la même terre, la même
eau, le même air, le même corps humain, la même âme humaine ? Alors, ne
pourrait-il pas être le même Créateur, quel qu'il soit, qui a fait toutes ces
choses pour nous tous ? Ne devrions-nous pas nous étonner du fait que les gens
partagent les mêmes choses et pourtant adorent des dieux différents ?
Est-ce facile de penser, d'ailleurs ? Comment peut-on « penser » devant toutes
ces tonnes d'images qui nous tombent dessus comme une avalanche de la télé, du
Web… ? Mais combien de personnes pourraient aller dans les bois (sans caméra,
sans Smartphone, sans cigarettes), avec juste un esprit et un cœur, et deux
pieds prêts à aller d'un endroit à l'autre, et des yeux prêts à regarder de
belles fleurs - de petites fleurs - se cachant derrière de petits rochers que
peu de gens se soucient de regarder ? Qui de nos jours irait dans les bois et
regarderait les feuilles tombées, les toucherait, les scruterait, et penserait
aux insectes, aux oiseaux migrateurs, à toute la vie, en fait ?
Qui ? Combien ? C’est pas facile. Les gens penseront plutôt à leur quotidien, à
leur pouvoir d’achat en berne, à leurs dettes abyssales, à leur futur
incertain. Vous avez des gens qui n’ont même de quoi acheter à manger. Vous
avez même des étudiants de médecine, censés nous soigner un jour, qui ont le
malheur d’affronter au quotidien le burn-out, la dépression et l’anxiété. Vous
avez des gens qui, en plus de ça, ont tous les jours la peur au ventre parce
qu’ils ne sont pas sûrs que leurs enfants reviendront de l’école sains et
saufs. Dans ces conditions, comment peut-on réfléchir dans la bonne humeur ? Et
pourtant, il faut réfléchir. Nous avons tous vu que le ras-le-bol contre la
classe politique ne résoudra rien à lui seul.
Avant nous, il y a eu de gros agriculteurs avec de vastes terres agricoles ; il
y a eu des princes et des nobles ; il y a eu de petites gens pleines de rêve ;
il y a eu des gens qui ont été heureux pendant un certain temps puis ont perdu
leur bonheur du jour au lendemain. Et la liste est longue. Peut-être que ces
gens qui ont vécu avant nous n'avaient pas de machines à calculer,
d'ordinateurs sophistiqués et de logiciels de génie, mais eux aussi étaient
intelligents d'une manière ou d'une autre. Peut-être que nous aussi devons être
doublement intelligents, en pensant aux grandes choses et en méditant également
sur les petites choses.
Prenons cet exemple. Nous, musulmans du monde entier, venons de célébrer l'aïd
al-Adha (la fête du sacrifice). Est-ce que tout le monde a célébré cette fête
de la même manière ? Eh bien, beaucoup de gens sacrifient un mouton mais ne
peuvent pas manger de sa viande simplement parce qu'ils sont malades. D'autres
personnes, en revanche, ayant pourtant un estomac et un corps sains, ne peuvent
pas se permettre un mouton. Trop cher pour eux. Qui devrait envier l'autre :
celui qui ne peut pas manger de son mouton ou celui qui ne peut pas en acheter
un en premier lieu ?
Le problème est que les sentiments et les émotions sont parfois plus forts que
les connaissances et les convictions. Il n'est pas facile pour quiconque de
gérer le sentiment que son patron ou son supérieur soit moins qualifié que lui.
Il n'est pas facile pour un bel homme de comprendre pourquoi sa belle
bien-aimée devrait épouser un homme « moche ». Il n'est pas facile pour une
femme de couleur de comprendre pourquoi elle devrait l'être, si cela lui cause
un problème, ou pour un ingénieur de comprendre pourquoi son fils unique
devrait être handicapé. Les scientifiques ne peuvent pas, par exemple,
expliquer pourquoi un couple marié ne devrait pas avoir d'enfant, malgré tous
les efforts imaginables et inimaginables. Mais ils peuvent évidemment expliquer
la chose physiologique/pathologique, qui a empêché le couple d'avoir un enfant.
Les scientifiques n'ont pas de problèmes avec le monde physique. C'est pourquoi
ils ont eu la gentillesse de rendre notre monde physique si facile : ils ont
développé pour nous de merveilleux moyens de transport, des moyens de
télécommunication de conte de fées, des services médicaux inespérés. Nos
cuisines, nos salons, nos bureaux, nos sacs regorgent de gadgets technologiques
que nous devons à nos vénérables scientifiques. Mais les scientifiques sont
comme nous, comme vous et moi. Eux aussi ont des sentiments et des émotions. Un
scientifique restera dégouté toute sa vie si l’on attribue une de ses
découvertes ou contributions scientifiques à quelqu’un d’autre. Vous et moi
sommes conscients des souffrances de tant de personnels médicaux à travers le
monde pendant la pandémie actuelle. Et ainsi de suite.
Les scientifiques peuvent aisément inventer des techniques révolutionnaires,
traiter le corps humain et améliorer l'agriculture, etc., mais ne peuvent
certainement pas empêcher la mort, la sécheresse ou les inondations. Les
scientifiques peuvent envoyer des humains sur Mars mais ne peuvent pas empêcher
les tremblements de terre ou les ouragans, qui causent plus de destruction en
quelques heures que la science ne puisse en construire en des années. C'est
encore un problème d'émotions. On ne peut rien expliquer à une veuve assise
devant sa maison détruite par les inondations ou à des parents qui viennent de
perdre leur fils unique à cause de la Covid. Que dire à une personne qui ne
trouve pas de lit de réanimation ou d'oxygène pour sauver sa mère ou sa fille ?
Quid de la Foi ? Certaines personnes y croient. Elles s’y accrochent en temps
normal et en temps de crise. Elles y trouvent des explications à même de les
aider à dépasser une perte, ou surmonter une rupture amoureuse, une faiblesse
ou un drame. Cette explication n’est pas fortuite ou anodine Elle implique un
engagement. Si l’on demande de l’aide à un dieu on doit raisonnablement
s’attendre à devoir lui rendre grâce d’une manière ou d’une autre. C’est là la
ligne de démarcation entre foi et incroyance. Certaines personnes ne peuvent en
aucun cas accepter l'idée d'être dépendant de quoi que ce soit ou obéissant à
qui que ce soit. Ils se considèrent comme pleinement autodidactes,
auto-dépendants, auto-suffisants, et qu'ils ne doivent rien à personne, à
aucune divinité. Ils n'ont rien de quoi remercier Dieu : parce que s'ils
acceptent l'idée d'être obligés envers une divinité, ils craignent qu'on ne
leur demande de se comporter selon les souhaits de cette divinité, non comme
ils l'entendent, eux.
En réalité, même le Coran, par exemple, ne dit pas que si vous ne croyez pas en
Dieu et en l'au-delà, vous échouerez dans ce monde. Le succès mondain est
ouvert à tous. Le problème est que, lorsque vous échouez, pour des raisons
objectives, vous pourriez avoir du mal à vous expliquer objectivement votre
échec. Parce que c'est dans la nature humaine que l'homme a tendance à blâmer
les autres pour ses échecs et à être arrogant en période de succès.
D'où vient notre arrogance ? Cela vient naturellement de notre envie
instinctive de se montrer, de se vanter. Nous voulons montrer aux gens autour
de nous que nous sommes autonomes, que nous sommes les meilleurs. Nous voulons
que le monde sache que nous avons obtenu notre poste parce que, comme on dit, «
un Écossais vaut 3 Anglais ». Idem pour son conjoint. Idem pour ses enfants.
Idem pour sa fortune. Tout est le fruit de notre ambition. Tout est une
question de mérite.
Cela s’explique aussi par le fait que, la plupart du temps, nous pensons à un
moment de notre vie. Prenons-nous vraiment en compte toute notre vie ?
Pensons-nous toujours au temps où nous vieillissons, où nous ne pouvons plus ni
chanter ni danser, où nous ne pouvons plus jouer au golf ou au tennis, où nous
ne pouvons plus nager ou même marcher, où nous ne pouvons plus manger avec un
couteau et une fourchette, quand nous sommes enfermés dans une maison de
retraite, abandonnés à la fois par notre famille et par le personnel de notre
maison de retraite ?
Beaucoup de gens divorcent après la retraite. Ce moment qu’ils attendaient avec
impatience pour se reposer et profiter de la vie devient subitement un enfer à
cause du conjoint, des enfants ou autre. Si l’on n’est pas préparé pour ça, à
quoi nous sert notre cervelle ?
Oui, j'imagine qu’un peu d'Histoire, un peu de philosophie, un peu de
spiritualité, un peu de tourisme « gratuit » (juste un petit tour à pied ou à
vélo autour de notre lieu de vie), un peu de méditation) - tout cela peut
s'avérer juste inestimable. Nous savons tous que beaucoup de gens ont une bonne
assurance et pourtant sont malheureux. Beaucoup de gens qui ont les meilleures
pensions de retraite sont également tout sauf heureux. Il y a certainement
d'autres choses dans la vie qui sont tout aussi importantes.